entretien entre Jean Beaucé, directeur de l'Aire Libre, et Alexis Fichet, metteur en scène de Bastards of Millionaires !
Alexis Fichet-----
Pourrais-tu retracer comment tu as rencontré le collectif Lumière d’août, et comment on en est venu à la proposition de compagnie associée ?
Jean Beaucé-----
Les tous premiers contacts, je ne sais plus. En tout cas c’est vraiment parti de Ciel dans la ville, des propositions autour de l’aéroport, une implication du lieu “Aire Libre”, puisque ça se passe dans Saint-Jacques. Mais ce n’est pas qu’une histoire de lieu, c’est aussi un projet qui s’inscrit sur un territoire, qui est un projet de création, et un projet d’écriture. Il me semblait que le projet d’Alexandre Koutchevsky, Ciel dans la ville, rejoignait ce que moi j’envisageais comme évolution du projet de l’Aire Libre à ce moment. Comment nommer ça ? C’est la présence d’artistes sur le territoire, et la manière dont un territoire, un endroit, des lieux ou une histoire peuvent être source de création. Et pas l’inverse : ce n’est pas se mettre au service d’une demande qui émanerait d’un lieu ou d’un territoire, ou d’une commune, ou d’une demande associative. Le point de départ c’est le projet artistique, mais vraiment situé, à un endroit précis.
Alexis Fichet-----
Sur Ciel dans la ville il y a eu un effet d’évidence : le lieu, Alexandre…
Jean Beaucé-----
C’est sa pratique de pilote, son intérêt, mais surtout l’écriture engagée par cette pratique, par cet espace.
Et il faut se donner du temps.
Alors on l’a fait en deux fois, la première en septembre 2007, la deuxième en juin 2008.
Alexis Fichet-----
Avant il y avait eu Blockhaus, qui était une commande de Dominique Chrétien dans le cadre des formats courts…
Jean Beaucé-----
Oui, qui rentrait dans les formats courts, ce qui rejoignait une sensibilité de l’Aire Libre pour ces formes là. En fait il y a eu trois étapes.
Cette première forme, intégrée à une programmation plus générale de formes courtes, puis une première création de Ciel dans la ville en septembre, puis une reprise en juin, avec une nuit complète : Ciel dans la nuit. Donc on n’est pas dans le cas de figure d’une création typique, mais très évolutive.
Dans le même temps il y a eu aussi avec Alexandre Koutchevsky un travail très important avec l’école d’à côté. Ça s’est fait sur six mois, avec les jeunes élèves, CM2 et sixième, ce qui permettait un pont entre primaire et collège, avec un travail sur la photo et l’écriture. Je trouve que c’est un travail
exemplaire d’action éducative.
Donc, quand j’ai engagé le projet de l’Aire Libre en proposant à trois compagnies d’être associées (ce qui est peut-être gourmand), nous avons avancé avec l’idée d’accompagner le projet avec Ciel en Afrique et l’horizon d’une reprise future à Saint-Jacques de la Lande, puis Bastards of millionaires !, puis le projet Je suis une île et j’ai faim, ce qui fait trois projets sur trois années. Trois ans ça passe très vite, d’autant qu’on passe une année en renouvellement de convention (là je parle pour l’Aire Libre), et pour la compagnie, en recherche de moyens, etc. Ce serait peut-être mieux d’avoir quatre ans. Ce qui parait court, ce n’est pas de soutenir les projets, mais d’avoir un dialogue autour, une réflexion. Les projets démarrent très vite, ce qui est déjà pas mal, mais ensuite on manque toujours de temps pour discuter et envisager les perspectives, et on est déjà au bout des trois ans, avant d’avoir eu le temps de revenir sur la collaboration elle-même.
Dans la proposition d’association, dans mon esprit, il y a un contrat de confiance : une proposition faite par la compagnie n’est pas soumise à discussion comme des projets isolés d’autres compagnies. C’est parti de Ciel dans la ville. Ensuite, Bastards of millionaires ! était une confiance donnée au collectif Lumière d’août, de même que Je suis une île et j’ai faim. Je ne suis pas sûr qu’en dehors d’une association, j’aurais répondu positivement à Je suis une île et j‘ai faim… pour des raisons de calendriers, etc.
Alexis Fichet-----
Pour nous c’est très important. Les gens mettent en doute cette notion de collectif. On nous dit depuis cinq ans : dans cinq ans il ne restera que deux artistes visibles, et plus de collectif. Mais ce qui nous a fait avancer, souvent, ce sont des gens qui ont pris en compte cet aspect collectif, comme le festival Frictions à Dijon, avec Marie-Pia Bureau et Philippe Minyana, puis plus tard le festival d’Avignon, qui avaient invité tout le collectif.
L’Aire Libre, qui est sur le territoire d’Ille et Vilaine où nous sommes implantés, et qui considère ce collectif, c’est très important parce que cela nous permet d’avoir un dialogue artistique régulier, ce qui est le but. Avec toi notamment, on ne justifie pas tout en terme de production, on parle aussi de nécessité artistique. On a parlé de Ciel dans la ville, Ciel dans la nuit, Ciel en Afrique, qui sont une suite de créations rendues possibles par cette association. Bastards of millionaires ! a été créé à l’Aire Libre. La rencontre avec le public s’est très bien passée, mais il y avait quelques remarques récurrentes qui nous intéressaient, et ce sentiment que le spectacle pouvait aller plus loin, être vu d’avantage par les spectateurs locaux.
Alors on le reprend ici, pour deux dates, comme une expérience. Pour moi ça raconte vraiment cet accompagnement d’un jeune collectif, d’une jeune compagnie. Ça fait sens, pour nous. C’est une manière d’avancer qui est vivante, et à l’écoute du projet, qui est rare, qui permet de passer du temps sur l’artistique.
Jean Beaucé-----
Le fait de reprendre un spectacle un an (à peu près) après sa création, c’est assez rare et ça ne se fait pas quand on est dans une logique de programmation, ou très rarement. Dans les perspectives d’accompagnement et de coproduction, il me parait nécessaire d’aller plus loin que la simple programmation. Pour Ciel dans la ville, ça donne cette aide apportée à Ciel en Afrique, avec la perspective de la reprise à l’Aire Libre l’an prochain.
Pour certains spectacles, il ne faut pas les abandonner à la première tentative, donc donner la possibilité d’un retravail, et de le redonner au public. Pour d’autres, c’est de redonner une chance en diffusion. Ça me parait important de continuer à suivre les spectacles. On n’est pas très outillé, on n’a pas de bureau de diffusion, donc on a une difficulté à agir dans la promotion et la vente des spectacles: il faudrait créer des postes, ce serait une autre organisation pour l’Aire Libre. Mais on peut redonner du
temps de travail, redonner du temps de plateau, et permettre que les spectacles soient revus.
Alexis Fichet-----
Je crois que ça raconte aussi la relation à un territoire où nous vivons. C’est de là que partent les choses : quand Alexandre Koutchevsky, pour une forme courte, se rend compte qu’il y a l’aéroport, le blockhaus, il travaille sur cette Histoire et cet espace parce que ça fait sens pour lui. Après ça peut décoller. Pour Lumière d’août, être associé à un lieu qui permette de remontrer des formes, d’en montrer l’évolution, c’est important. Pour Bastards of millionaires !, quand je parle de la reprise, je suis étonné (et heureux) d’entendre des gens qui sont déjà venus et qui pensent revenir. Ils veulent voir la nouvelle version. Ils veulent suivre le travail. Nous sommes une compagnie qui, en quelque sorte, a ses
spectateurs associés. Il y a l’association de la compagnie Lumière d’août et du Théâtre de l’Aire libre, mais il y a aussi tout un public qui est intéressé par une relation durable avec les oeuvres, avec les artistes, avec une programmation. Les gens ont suivi un parcours, ce sont leurs retours qui influencent notre travail. Un certain type d’exigence de notre part produit chez le spectateur une curiosité, une envie de voir, qui est liée à une présence d’une compagnie, dans un théâtre, sur un territoire, avec un public.
Accueillis ailleurs, on n’aurait pas travaillé comme ça.
Pourrais-tu retracer comment tu as rencontré le collectif Lumière d’août, et comment on en est venu à la proposition de compagnie associée ?
Jean Beaucé-----
Les tous premiers contacts, je ne sais plus. En tout cas c’est vraiment parti de Ciel dans la ville, des propositions autour de l’aéroport, une implication du lieu “Aire Libre”, puisque ça se passe dans Saint-Jacques. Mais ce n’est pas qu’une histoire de lieu, c’est aussi un projet qui s’inscrit sur un territoire, qui est un projet de création, et un projet d’écriture. Il me semblait que le projet d’Alexandre Koutchevsky, Ciel dans la ville, rejoignait ce que moi j’envisageais comme évolution du projet de l’Aire Libre à ce moment. Comment nommer ça ? C’est la présence d’artistes sur le territoire, et la manière dont un territoire, un endroit, des lieux ou une histoire peuvent être source de création. Et pas l’inverse : ce n’est pas se mettre au service d’une demande qui émanerait d’un lieu ou d’un territoire, ou d’une commune, ou d’une demande associative. Le point de départ c’est le projet artistique, mais vraiment situé, à un endroit précis.
Alexis Fichet-----
Sur Ciel dans la ville il y a eu un effet d’évidence : le lieu, Alexandre…
Jean Beaucé-----
C’est sa pratique de pilote, son intérêt, mais surtout l’écriture engagée par cette pratique, par cet espace.
Et il faut se donner du temps.
Alors on l’a fait en deux fois, la première en septembre 2007, la deuxième en juin 2008.
Alexis Fichet-----
Avant il y avait eu Blockhaus, qui était une commande de Dominique Chrétien dans le cadre des formats courts…
Jean Beaucé-----
Oui, qui rentrait dans les formats courts, ce qui rejoignait une sensibilité de l’Aire Libre pour ces formes là. En fait il y a eu trois étapes.
Cette première forme, intégrée à une programmation plus générale de formes courtes, puis une première création de Ciel dans la ville en septembre, puis une reprise en juin, avec une nuit complète : Ciel dans la nuit. Donc on n’est pas dans le cas de figure d’une création typique, mais très évolutive.
Dans le même temps il y a eu aussi avec Alexandre Koutchevsky un travail très important avec l’école d’à côté. Ça s’est fait sur six mois, avec les jeunes élèves, CM2 et sixième, ce qui permettait un pont entre primaire et collège, avec un travail sur la photo et l’écriture. Je trouve que c’est un travail
exemplaire d’action éducative.
Donc, quand j’ai engagé le projet de l’Aire Libre en proposant à trois compagnies d’être associées (ce qui est peut-être gourmand), nous avons avancé avec l’idée d’accompagner le projet avec Ciel en Afrique et l’horizon d’une reprise future à Saint-Jacques de la Lande, puis Bastards of millionaires !, puis le projet Je suis une île et j’ai faim, ce qui fait trois projets sur trois années. Trois ans ça passe très vite, d’autant qu’on passe une année en renouvellement de convention (là je parle pour l’Aire Libre), et pour la compagnie, en recherche de moyens, etc. Ce serait peut-être mieux d’avoir quatre ans. Ce qui parait court, ce n’est pas de soutenir les projets, mais d’avoir un dialogue autour, une réflexion. Les projets démarrent très vite, ce qui est déjà pas mal, mais ensuite on manque toujours de temps pour discuter et envisager les perspectives, et on est déjà au bout des trois ans, avant d’avoir eu le temps de revenir sur la collaboration elle-même.
Dans la proposition d’association, dans mon esprit, il y a un contrat de confiance : une proposition faite par la compagnie n’est pas soumise à discussion comme des projets isolés d’autres compagnies. C’est parti de Ciel dans la ville. Ensuite, Bastards of millionaires ! était une confiance donnée au collectif Lumière d’août, de même que Je suis une île et j’ai faim. Je ne suis pas sûr qu’en dehors d’une association, j’aurais répondu positivement à Je suis une île et j‘ai faim… pour des raisons de calendriers, etc.
Alexis Fichet-----
Pour nous c’est très important. Les gens mettent en doute cette notion de collectif. On nous dit depuis cinq ans : dans cinq ans il ne restera que deux artistes visibles, et plus de collectif. Mais ce qui nous a fait avancer, souvent, ce sont des gens qui ont pris en compte cet aspect collectif, comme le festival Frictions à Dijon, avec Marie-Pia Bureau et Philippe Minyana, puis plus tard le festival d’Avignon, qui avaient invité tout le collectif.
L’Aire Libre, qui est sur le territoire d’Ille et Vilaine où nous sommes implantés, et qui considère ce collectif, c’est très important parce que cela nous permet d’avoir un dialogue artistique régulier, ce qui est le but. Avec toi notamment, on ne justifie pas tout en terme de production, on parle aussi de nécessité artistique. On a parlé de Ciel dans la ville, Ciel dans la nuit, Ciel en Afrique, qui sont une suite de créations rendues possibles par cette association. Bastards of millionaires ! a été créé à l’Aire Libre. La rencontre avec le public s’est très bien passée, mais il y avait quelques remarques récurrentes qui nous intéressaient, et ce sentiment que le spectacle pouvait aller plus loin, être vu d’avantage par les spectateurs locaux.
Alors on le reprend ici, pour deux dates, comme une expérience. Pour moi ça raconte vraiment cet accompagnement d’un jeune collectif, d’une jeune compagnie. Ça fait sens, pour nous. C’est une manière d’avancer qui est vivante, et à l’écoute du projet, qui est rare, qui permet de passer du temps sur l’artistique.
Jean Beaucé-----
Le fait de reprendre un spectacle un an (à peu près) après sa création, c’est assez rare et ça ne se fait pas quand on est dans une logique de programmation, ou très rarement. Dans les perspectives d’accompagnement et de coproduction, il me parait nécessaire d’aller plus loin que la simple programmation. Pour Ciel dans la ville, ça donne cette aide apportée à Ciel en Afrique, avec la perspective de la reprise à l’Aire Libre l’an prochain.
Pour certains spectacles, il ne faut pas les abandonner à la première tentative, donc donner la possibilité d’un retravail, et de le redonner au public. Pour d’autres, c’est de redonner une chance en diffusion. Ça me parait important de continuer à suivre les spectacles. On n’est pas très outillé, on n’a pas de bureau de diffusion, donc on a une difficulté à agir dans la promotion et la vente des spectacles: il faudrait créer des postes, ce serait une autre organisation pour l’Aire Libre. Mais on peut redonner du
temps de travail, redonner du temps de plateau, et permettre que les spectacles soient revus.
Alexis Fichet-----
Je crois que ça raconte aussi la relation à un territoire où nous vivons. C’est de là que partent les choses : quand Alexandre Koutchevsky, pour une forme courte, se rend compte qu’il y a l’aéroport, le blockhaus, il travaille sur cette Histoire et cet espace parce que ça fait sens pour lui. Après ça peut décoller. Pour Lumière d’août, être associé à un lieu qui permette de remontrer des formes, d’en montrer l’évolution, c’est important. Pour Bastards of millionaires !, quand je parle de la reprise, je suis étonné (et heureux) d’entendre des gens qui sont déjà venus et qui pensent revenir. Ils veulent voir la nouvelle version. Ils veulent suivre le travail. Nous sommes une compagnie qui, en quelque sorte, a ses
spectateurs associés. Il y a l’association de la compagnie Lumière d’août et du Théâtre de l’Aire libre, mais il y a aussi tout un public qui est intéressé par une relation durable avec les oeuvres, avec les artistes, avec une programmation. Les gens ont suivi un parcours, ce sont leurs retours qui influencent notre travail. Un certain type d’exigence de notre part produit chez le spectateur une curiosité, une envie de voir, qui est liée à une présence d’une compagnie, dans un théâtre, sur un territoire, avec un public.
Accueillis ailleurs, on n’aurait pas travaillé comme ça.